La lettre de Robert Sarah au Colonel Mamady Doumbouya

Excellence, Monsieur le Président,

Nous avons appris la prise du pouvoir par le CNRD, ce 5 septembre 2021. L’histoire se répète. Comme en 1984 et en 2008, la population guinéenne est sortie dans la rue pour exprimer sa joie parce que l’acte que vous avez posé suscite de l’espoir, encore une fois : espoir de justice, de paix, de redressement réel et de développement, espoir de vivre tout simplement dans un pays normal, une Nation unie et prospère. Il faut cependant constater, hélas, que les deux expériences précédentes de prise du pouvoir par l’armée, n’ont pas permis de créer les bases de la refondation de la Nation et la construction d’un État de droit. Ce qui a conduit la Guinée dans une situation de pauvreté accrue, malgré toutes les richesses naturelles que Dieu lui a données. Depuis plus de cinquante ans, la Guinée descend inexorablement dans les profondeurs du sous-développement et de la misère endémique, et le peuple de Guinée ne fait que subir déception sur déception. Vous avez aujourd’hui créé les conditions propices à la remise en question de la voie que le pays a suivi jusqu’à présent, et qui n’a pas apporté le bonheur que les guinéens espéraient. La page est redevenue blanche. Les Guinéens n’ont plus droit à l’erreur.

Les bonnes paroles que vous avez prononcées doivent être transformées en actes concrets pour construire une Guinée nouvelle. Mais Il vous faudra beaucoup de vérité et de courage, d’héroïsme et de détermination pour balayer autour de vous tous les prédateurs invétérés de notre Pays, corrompus et incompétents qui ont accompagné les gouvernements de Sékou Touré, Lansana Conté, Moussa Dadis Camara et Alpha Condé, et qui se considèrent comme des éléments incontournables et inamovibles. Le redressement et le développement que vous voulez initier ne pourra jamais voir le jour, si vous ne changez pas radicalement l’ambiance et l’environnement du gouvernement guinéen. « Personne ne coud une pièce de drap non foulé à un vieux vêtement, autrement, la pièce neuve tire sur le vieux vêtement et la déchirure s’aggrave. » (Mc 2,21-22). Pour le bien de la Guinée, travaillez de toutes vos énergies à renouveler la classe politique.

Ne permettez plus que les leaders politiques abusent de notre peuple et le manipulent au gré de leurs intérêts égoïstes. Il faut pour notre Pays une nouvelle génération de leaders politiques qui aiment leur pays et leurs concitoyens et unissent leurs forces pour la paix, l’unité et le développement des Guinéens, au lieu de les inciter à se haïr et à s’entretuer. Que les leaders politiques guinéens qui ont opposé les ethnies et les régions les uns contre les autres et ont cloisonné les Guinéens en partis politiques pour les dresser les uns contre les autres arrêtent cette pratique diabolique qui paralyse et détruit le Pays. Vous avez dit vous-même , Mr le Président, en citant Jerry Rawlings, “Si le peuple est écrasé par ses élites , il revient à l’armée de rendre au peuple sa liberté “. Oui , redonner au peuple non seulement sa liberté, mais surtout la santé physique et morale, une vie plus digne et un peu de bonheur. Soyez extrêmement sévère envers les militaires qui voudraient profiter de l’accession au pouvoir par l’armée pour s’enrichir au détriment du peuple.” La Guinée est bénie d’une pluviométrie abondante, d’une richesse du sous-sol exceptionnelle. Mais sa population manque tragiquement d’eau potable et d’électricité, et trouve difficilement de quoi se nourrir dignement. L’école et l’éducation sont en faillite.

La santé est dans une déplorable dégradation. Les infrastructures routières sont catastrophiques. La corruption, la gabegie financière, le manque total de discipline morale et éthique, la médiocrité et l’incompétence chronique font croupir la Guinée dans la misère et la décadence de la vie sociale. Comment sortir de cette impasse ?

Utilisez votre intelligence et vos capacités d’analyse objective de notre histoire, de nos mentalités et de nos nombreuses erreurs. Mais surtout approchez vos frères et sœurs compétents, capables et intègres pour vous accompagner. Prenez le temps qu’il faut pour la réflexion, l’analyse, la concertation et l’action vraie et juste afin d’éviter les erreurs du passé. C’est une nouvelle chance pour le pays. Nous ne devons pas la laisser passer. C’est l’occasion de changer radicalement le cours de l’histoire en permettant enfin au Pays d’amorcer une nouvelle marche vers ce qui est bien et bon pour lui. Chaque Pays a son histoire, ses défis à relever, ses erreurs à combattre et à corriger, sa population à éduquer, son rythme de marche. Résistez avec fermeté, sagesse et intelligence aux pressions de ceux dont la seule préoccupation est de voir des processus politiques mis en œuvre le plus rapidement possible pour leurs intérêts inavoués, et au détriment des populations guinéennes. Avant d’envisager des élections présidentielles, posez d’abord les fondations d’une économie solide, d’une société unie, solidaire et capable de développement par le travail. En effet, pour que l’immeuble soit solide face aux intempéries, le soubassement doit être résistant à toute épreuve. Attelez-vous à sa construction dans les règles de l’art. Vous sauverez le Pays en laissant votre nom dans l’histoire. Les Guinéens vous en seront infiniment reconnaissants. Aussi je fais appel à tous mes compatriotes guinéens qui sont à l’étranger ou en Guinée et qui ont acquis de hautes qualifications et compétences professionnelles dans des structures ou organisations internationales, d’accepter de se donner la main, en oubliant leurs origines ethniques ou régionales et de consentir tous les sacrifices nécessaires afin de sortir la Guinée de la catastrophe économique et des fractures sociales. Je supplie le peuple de Guinée de radicalement changer de mentalité et d’habitudes et de se mettre au travail. Je demande aux Guinéens de refuser désormais qu’on vous mette dans la rue pour manifester et vous inciter à vous entretuer. Votre bonheur, c’est vous qui le construisez par votre travail et vos efforts quotidiens. Aucun gouvernement, aucun chef d’État, aucun leader politique ne vous apportera le bonheur sur un plateau en or, sans votre travail réel et votre ferme détermination à sortir de la misère matérielle et morale. Je ne peux terminer ce message sans vous demander respectueusement, Monsieur le Président du CNRD, de traiter dignement Mr le Président Alpha Condé et de le libérer le plus vite que possible. Soyez assuré, Monsieur le Président, que la Guinée et nos populations sont dans mes prières quotidiennes. Que Dieu bénisse la Guinée !

Robert Card. Sarah, Cité du Vatican