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En Guinée, Alpha Condé « poussé » vers un troisième mandat controversé

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Accusé d’avoir plongé son pays dans la crise pour rester au pouvoir, l’ancien opposant historique est plébiscité par les militants de son parti, qui l’ont pressé d’être leur candidat à l’élection prévue en octobre.

A son arrivée à la tête de la Guinée, en 2010, Alpha Condé était auréolé de son image d’opposant historique. Mais il est désormais accusé d’avoir plongé son pays dans la crise pour rester au pouvoir. Malgré la contestation et les dizaines de manifestants tués depuis octobre dernier, M. Condé, 82 ans, est bien placé pour briguer un troisième mandat lors de la présidentielle prévue en octobre.

Pendant deux jours, les militants de son parti l’ont pressé d’être leur candidat, lors d’une convention électorale aux allures de plébiscite. Sans s’engager formellement, il leur a dit « prendre acte » de leur demande et a dressé une ébauche de programme : priorité à la lutte contre la corruption et, surtout, ne plus laisser personne « au bord de la route ». « La Guinée est victime d’une chose : son esprit d’indépendance et de souveraineté, qui a fait qu’on a voté “non” en 1958 » au référendum sur l’association avec la France proposée par le général de Gaulle, a-t-il déclaré : « On n’aime pas beaucoup qu’un pays défende sa souveraineté, qu’il n’obéisse pas. »

Il se targue d’être un modernisateur et a pour cela fait adopter par référendum, en février, une nouvelle Constitution. Que l’opposition, qui dénonçait une manœuvre pour garder le pouvoir, ait boycotté la consultation et que des centaines de milliers de Guinéens se soient dressés contre cette réforme ne l’a pas fait plier. Comme la précédente, la nouvelle loi fondamentale limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Mais l’adoption de cette nouvelle Constitution permet au président sortant de remettre ses compteurs à zéro, selon ses partisans.

Un orateur qui goûte peu la contradiction

De longues années d’opposition en exil, la prison, une accession quasi miraculeuse au pouvoir et deux mandats présidentiels ont forgé le caractère de cet homme svelte qui boîte légèrement. M. Condé, qui se réclame de la gauche, est un orateur érudit, sachant enthousiasmer son auditoire. Mais il goûte peu la contradiction et ses adversaires le décrivent comme un homme autoritaire et impulsif.

Né le 4 mars 1938 à Boké (ouest), M. Condé est issu de l’ethnie malinké, la deuxième du pays. Il part en France dès l’âge de 15 ans et y obtient des diplômes en économie, droit et sociologie. Il enseigne ensuite à l’université parisienne de la Sorbonne. Parallèlement, il dirige dans les années 1960 la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Féanf) et anime des mouvements d’opposition au régime dictatorial d’Ahmed Sékou Touré, « père de l’indépendance » de la Guinée, colonie française jusqu’en 1958. Sékou Touré le fait condamner à mort par contumace en 1970.

Il rentre au pays en 1991, sept ans après la mort de Sékou Touré, auquel a succédé l’officier Lansana Conté. Aux présidentielles de 1993 et 1998, ni libres ni transparentes, Condé est officiellement crédité de 27 % et 18 % des voix. Le fondateur du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) inquiète Lansana Conté, qui le fait arrêter juste après la présidentielle de 1998. Il est condamné en 2000 à cinq ans de prison pour « atteintes à l’autorité de l’Etat et à l’intégrité du territoire national ». Sous la pression internationale, il est gracié en 2001.

« Une dictature qui ne dit pas son nom »

Il reste dans l’opposition après l’avènement de la junte du capitaine Moussa Dadis Camara, en 2008. Mais en 2010, le « professeur Alpha Condé » est enfin élu, au second tour, après avoir été très nettement distancé
au premier par l’ex-premier ministre Cellou Dalein Diallo. Il est réélu au premier tour en 2015. Cellou Dalein Diallo, actuel chef de file de l’opposition, lui reproche d’avoir instauré « une république bananière, une dictature qui ne dit pas son nom ».

« Condé a fait des choses importantes pour faire progresser la Guinée », convenait au début de l’année Jim Wormington, de Human Rights Watch. Mais avec les violences policières qui ont émaillé son deuxième mandat, « il serait difficile d’en dresser un portrait positif ; c’est ce qui rend les choses si tristes ». « Si Condé accepte la nomination [de son parti comme candidat à la présidentielle], sa transformation de réformateur en autocrate sera complète », estime pour sa part Eric Humphery-Smith, analyste au sein de la société de consultance Verisk Maplecroft.

Alpha Condé, lui, se targue de son bilan : réalisation de barrages hydroélectriques, révision des contrats miniers et mise au pas de l’armée, le tout alors que le pays a fait face à une épidémie d’Ebola (2013-2016).

Le Monde avec AFP

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