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Addi Bâ et Giorgio Marincola: les partisans noirs

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L’un est Guinéen, l’autre Italo-Somalien. Tous deux paient de leur vie le fait d’avoir pris part à la libération de puissances coloniales lorsqu’elles ont été à leur tour soumises à l’occupant. Leur destin romanesque a inspiré historiens et auteurs de fiction.

L’héroïsme des soldats africains de la Grande Guerre reste encore méconnu. Libérateurs de Reims, ils tombent par milliers au premier jour de l’offensive du Chemin des Dames. Durant la Seconde Guerre mondiale, ils meurent en martyrs au nord de Lyon ou sont massacrés à Thiaroye par l’armée française. Malgré tout, leur trajectoire n’est presque jamais abordée à l’échelle individuelle, et c’est l’un des grands mérites du récent roman de David Diop, Frère d’âme, que d’avoir imaginé l’une de ces trajectoires.

Ce serait déjà en soi une excellente raison de s’intéresser aux destins exceptionnels d’Addi Bâ et Giorgio Marincola. Une autre est leur implication dans les réseaux de la Résistance, comme si en prenant part à la Libération des métropoles contre l’occupant nazi, ils avaient redonné du sens à un universalisme que les colonisateurs avaient à la fois exalté et bafoué.

Addi Bâ, résistant en uniforme

À Bomboli, dans le Fouta-Diallon, en Moyenne Guinée, on se souvient encore de ce guerrier peul parti mourir en Europe. Addi Bâ arrive à la fin des années trente dans le Val de Loire où il travaille probablement comme domestique. En 1938, il est cuisinier à Paris et vit près de la Grande Mosquée qu’il fréquente assidûment. Il s’engage comme volontaire en 1939 et est incorporé au 12e régiment de tirailleurs sénégalais, où se trouve aussi un jeune officier du nom de Pierre Messmer.Secteur de Colmar | Addi Bâ le résistant

Il fait partie du bataillon qui, sous les ordres du commandant Graff, parvient à bloquer un temps l’offensive allemande à Harréville-les-Chanteurs, en Haute-Marne. Fait prisonnier, il semble qu’il s’évade la nuit même, profitant des libations euphoriques de ses geôliers. Secouru par des habitants, comme d’autres tirailleurs évadés, il refuse de s’enfuir vers la Suisse ou même de se séparer de son uniforme, en pleine Occupation.

Au printemps 1943, il est des premiers partisans du camp de la Délivrance, pour lequel il organise le ravitaillement. En juillet, des soldats allemands présents dans le camp, prisonniers ou déserteurs on ne sait pas, disparaissent tout à coup. Quelques jours plus tard, le maquis vidé de la plupart de ses hôtes est encerclé par les nazis. Addi Bâ est fait prisonnier dans le village voisin de Tollaincourt. Blessé aux jambes, il est
torturé à la prison de la Vierge à Épinal. Il ne parle pas. Condamné à mort avec un autre partisan, il est fusillé le 18 décembre 1943, malgré les tentatives de quelques habitants pour le faire libérer.

L’homme avait du panache et Étienne Guillermond, qui lui a consacré un très beau livre en 2013, raconte combien son souvenir est resté vif dans cette partie des Vosges. « J’ai été frappé, se souvient-il, par la remarque quasi unanime de tous les gens que j’ai pu interviewer : s’il avait survécu, avec son charisme, il aurait fait de la politique et aurait sans doute été élu maire ou député... »

Giorgio Marincola, ou « le sentiment de la liberté »

Giorgio Marincola naît à Mahaday, au nord de Mogadiscio en 1923, d’un père italien et d’une mère somalienne. Comme sa sœur Isabella, de deux ans sa cadette, il est reconnu par son père, qui les emmènent en Italie. Giorgio grandit en Calabre, puis à Rome dès 1933.

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Au lycée, il a pour professeur de philosophie un militant du Parti d’action, une formation clandestine antifasciste. Pilo Albertelli, c’est son nom, sera exécuté le 24 mars 1944 lors du massacre des Fosses ardéatines. Giorgio s’inscrit en 1941 à la faculté de médecine, son rêve est d’étudier les maladies tropicales pour ensuite revenir dans son pays d’origine. Il rejoint les partisans du Parti d’action à l’automne 1943, d’abord à Rome, puis plus au nord dans la province de Viterbe.

Il s’engage en juin 1944 dans les Forces spéciales britanniques, reçoit une formation et le grade de lieutenant. Il est blessé au combat en septembre et est fait prisonnier en janvier 1945. Contraint de parler à la radio pour dénigrer la Résistance, il s’écrie en direct : « Je ressens la patrie comme une culture et un sentiment de liberté, pas comme une couleur quelconque sur une carte géographique… La patrie n’est pas identifiable à une dictature comme le fascisme. La patrie, cela veut dire liberté et justice pour les peuples du monde. Pour cela, je combats les oppresseurs… »

La transmission est interrompue par une pluie de coups. Il est transféré à Turin puis à Bolzano, où il est libéré le 30 avril 1945, le jour du suicide d’Adolf Hitler. Il refuse d’être mis à l’abri en Suisse et choisit de rejoindre la résistance. Le 4 mai 1945, les habitants qui retrouvent le corps de ce soldat noir sous uniforme anglais, suite au dernier massacre nazi sur le sol italien, pensent avoir à faire à la dépouille d’un militaire africain-américain.

Deux légendes

Le destin d’Addi Bâ a été raconté par le grand écrivain guinéen Tierno Monénembo dans Le Terroriste noir, du nom donné par les nazis à ce résistant atypique. Publié en 2012, le roman a été plusieurs fois récompensés, notamment par le prix Ahmadou-Kourouma. Il est adapté au cinéma en 2017 sous le titre Nos Patriotes.

Comme c’était déjà le cas avec Les Fragments d’Antonin, à vouloir trop montrer, ce film de Gabriel Le Bomin manque paradoxalement de crédibilité et de chair, malgré la remarquable interprétation de Marc Zinga dans le rôle d’Addi Bâ. En reste surtout l’image des deux résistants, l’un noir et l’autre blanc, fusillés main dans la main.

L’histoire de Giorgio Marincola a fait l’objet d’un très bel essai historique de Carlo Costa et Lorenzo Teodonio, intitulé Razza partigiana, publié en 2008 et non traduit en français. C’est aussi une figure récurrente parmi les références du
collectif littéraire Wu Ming, très influent dans les milieux de la gauche alternative italienne.

Wu Ming 2 a par ailleurs consacré à Isabella Marincola un livre écrit en collaboration avec son fils Antar Mohamed, intitulé Timira, paru chez Einaudi en 2012. On peut aussi voir Isabella sous les traits d’une improbable ouvrière agricole métisse du nord de l’Italie, dans Riz amer (1949) de Giuseppe de Santis, lequel était soucieux d’intersectionnalité avant l’heure. Retournée en Somalie, elle fut la dernière civile italienne à quitter Mogadiscio après le renversement du dictateur Siad Barré.

RFI

 

 

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