Entre promesses et réalité : la manipulation institutionnelle du CNRD pour confisquer le pouvoir

À son accession au pouvoir par coup d’État le 5 septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya proclamait une transition vers une gouvernance nouvelle, transparente et démocratique. Parmi ses engagements majeurs figurait la création d’un organe technique et indépendant chargé de la gestion des élections, ainsi que la refonte du fichier électoral, pierre angulaire de tout scrutin crédible.

Près de quatre ans plus tard, les actes posés sur le terrain révèlent une contradiction flagrante, voire un reniement total des engagements qui avaient légitimé le coup d’État. Ce décalage traduit une volonté manifeste de confisquer le pouvoir et de décider unilatéralement des orientations politiques de la nation.

Les promesses initiales : la lettre de mission du 28 novembre 2021

Dès novembre 2021, dans une lettre de mission adressée au Premier ministre, le président de la transition fixait trois objectifs centraux :

Refondre le fichier électoral, condition indispensable à des élections libres et transparentes ;

Créer un organe technique et indépendant pour garantir la crédibilité des scrutins ;

Organiser des élections démocratiques, transparentes et acceptées à tous les niveaux.

Ces engagements visaient à rompre avec les pratiques opaques des anciens régimes, en instaurant une instance indépendante assurant l’intégrité des élections.

Décembre 2021 : un second acte rassurant

Dans le décret n° 2021/0261/PRG/CNRD du 30 décembre 2021 portant organisation et fonctionnement du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD), signé par le colonel Doumbouya, l’article 1er précise :

« Le Ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation a pour mission la conception, l’élaboration et la mise en œuvre de la politique du gouvernement dans les domaines de l’administration du territoire, de la décentralisation et du développement local ; à ce titre, il est particulièrement chargé de : – la gestion de l’état civil, l’identification des personnes physiques, et d’appuyer l’organisation des élections ; (…) »

Juillet 2024 : un avant-projet de Constitution entre espoir et ambiguïtés

L’avant-projet de Constitution présenté au Conseil National de la Transition en juillet 2024 mentionne explicitement la création d’un organe technique indépendant chargé de la gestion des élections.

L’article 180 dispose :

« Il est créé un organe technique indépendant chargé de : – établir et mettre à jour le fichier électoral ; – préparer, organiser et superviser l’ensemble des consultations populaires (référendums, élections locales, législatives, sénatoriales, présidentielles) ; – proclamer les résultats provisoires ; – garantir l’intégrité, la transparence et la régularité du processus électoral. »

L’article 181 ajoute :

« La composition, le fonctionnement et les attributions de cet organe sont déterminés par une loi organique garantissant son autonomie juridique et institutionnelle. »

Ce cadre devait assurer une réelle indépendance de la gestion électorale.

Juin 2025 : le reniement par la création de la Direction Générale des Élections

Dans un décret modifiant l’organisation du MATD, le président de la transition crée la Direction Générale des Élections (DGE) au sein du ministère.

Les articles précisent :

Article 1er : « Il est créé, au sein du ministère en charge de l’Administration du territoire, une Direction Générale des Élections, en abrégé DGE. »

Article 2 : « La Direction Générale des Élections est dotée d’une autonomie financière. »

Article 3 : « Placée sous l’autorité du ministre en charge de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, la DGE a un statut équivalent à celui d’une direction de l’administration centrale. Elle a pour mission la mise en œuvre de la politique du gouvernement en matière d’organisation et de gestion des élections, et d’en assurer le suivi. »

Cette configuration contredit frontalement l’idée d’indépendance et remet en cause la crédibilité de tout scrutin organisé sous le CNRD. La gestion électorale reste intégrée à un ministère totalement dépendant du pouvoir exécutif, sans aucune autonomie institutionnelle ni juridique. Cela révèle une stratégie claire de confiscation du pouvoir.

Une trajectoire institutionnelle pleine de contradictions

Promesses contre réalités : alors que la lettre de mission de 2021 et l’avant-projet de Constitution de 2024 prônaient un organe indépendant, la création effective d’un tel organe autonome a été écartée au profit d’une direction ministérielle sous contrôle du CNRD.

L’établissement du fichier électoral, la désignation des candidats, le régime politique, le nombre de mandats, l’organisation et la supervision des élections, ainsi que la proclamation des résultats restent concentrés entre les mains du MATD, dirigé par un membre du CNRD. Cela garantit un contrôle total sur le processus électoral, au mépris des aspirations légitimes de la majorité des Guinéens.

L’absence de transparence et de calendrier électoral crédible alimente la méfiance et l’incertitude quant à la tenue d’élections libres et équitables.

Un engagement trahi, un avenir démocratique compromis

Les autorités de la transition ont trahi leurs engagements en transformant les promesses de rupture en un simulacre institutionnel. L’indépendance électorale, au lieu d’être une réalité, demeure un vœu pieux.

La création d’une Direction Générale des Élections placée sous la tutelle d’un gouvernement profondément politisé compromet toute transparence et toute neutralité, confirmant l’installation d’un système verrouillé.

Le peuple guinéen, à qui l’on avait promis des élections crédibles sous 24 mois, est aujourd’hui confronté à une machine institutionnelle instrumentalisée, menaçant gravement l’avenir démocratique du pays et sa stabilité sociale.

 

Mamoudou Babila KEÏTA

Journaliste d’investigation 

Éditorialiste, voix libre en exil.