Tribune : Marouane oublié, la presse agenouillée devant une dictature sans masque

Cela fait exactement six mois.

Six mois de silence.

Six mois d’indifférence.

Six mois de désolation.

Six mois de déception et de consternation.

Six mois que notre frère et ami Habib Marouane Camara a été tristement enlevé et porté disparu.

Il a été arraché à ses enfants, à son épouse, à sa famille, à ses collègues, à son micro, à sa plume, à la presse et à la société guinéenne.

Cela fait exactement plus de six mois que cette angoisse dure dans la douleur de sa femme, de ses enfants et de tous ceux qui tiennent à lui, à sa plume, à son franc-parler et à ses vérités dans l’intérêt de la société.

Malheureusement, dans la presse, pas un mot, pas une bannière, pas une alerte, pas un message radio ou télé, pas une indignation collective de la corporation qu’il a servie avec passion et professionnalisme.

La presse guinéenne a baissé le regard.

La presse guinéenne a épousé le silence face à la forfaiture.

Elle a préféré le confort de l’oubli au risque du courage.

Elle a choisi le calcul d’intérêt à la lutte pour la liberté d’un des leurs.

Elle s’est penchée sur la survie individuelle au détriment de la solidarité collective.

C’est ainsi qu’elle s’est tue.

Par peur. Par intérêt. Par lâcheté et par compromission.

Pendant ce temps, le CNRD continue de piétiner les libertés publiques, d’enterrer les acquis démocratiques, d’emprisonner des voix libres, de contraindre d’autres à l’exil et de bâillonner toutes les voix dissonantes et toutes les réclamations citoyennes dans l’espace public.

Il impose sa loi du silence par les armes, et les journalistes courbent l’échine, admirent les scènes d’oppression, et quémandent des miettes de privilèges pour continuer à rire dans l’indifférence.

Certains de ces journalistes se félicitent même des opportunités malsaines créées par leur silence : des postes, des enveloppes en coulisse et des petits contrats offerts en échange de leur soumission.

Le plus révoltant, c’est le cas de ceux qui ont partagé les mêmes plateaux et studios que Marouane.

Ceux qui ont débattu, dénoncé, rigolé et chahuté avec lui.

Aujourd’hui, ils ont scellé des pactes avec l’oppresseur, les kidnappeurs de Marouane, en tournant la page comme si de rien n’était.

Habib Marouane Camara, ce nom est désormais effacé de leur tête, de leurs téléphones et même de leur passé commun, au risque de provoquer la colère de l’ange démoniaque.

Son absence est ignorée, et la douleur de sa famille passe maintenant sous silence.

Dans un passé récent, les figures que les associations professionnelles de la presse dénonçaient odieusement comme “ennemis de la presse”, sont devenues leurs idoles pour désorienter la pratique du métier gardien de la vérité.

Ces confrères, prêts à vendre leur âme pour un décret éphémère d’un pouvoir qui donne un goût amer à la corporation et aux Guinéens ; une accréditation auprès des cellules de propagande politique ; un contrat de partenariat médiatique pathétique ; ou un fauteuil de conseiller en communication pour ne pas dire techniciens enrôlés pour la désinformation.

En vérité, la presse guinéenne s’est trahie elle-même.

Elle fait face à elle-même et à son triste destin.

Les journalistes critiques sont devenus des communicants cyniques.

Les animateurs de talk-shows sont devenus des propagandistes du despotisme.

Les défenseurs du journalisme libre se sont reconvertis en promoteurs zélés de la censure.

Les dénonciateurs d’hier se plaisent dorénavant dans le rôle de supporters enthousiastes.

Les chantres de la démocratie deviennent les procureurs de la dictature.

De donneurs de leçons de gouvernance à laudateurs serviles d’un pouvoir kleptocrate.

Nous voici, l’une des déceptions du peuple de Guinée :

Les sources d’inspiration d’hier, aujourd’hui sans repères, sans boussole, sans voix et même sans valeur. Le reniement total, sans gêne.

Par leur complicité, la force des arguments de la presse libre et indépendante s’est inclinée devant l’argument de la force des fossoyeurs déguisés en réformateurs.

Plus personne n’ose critiquer, alerter, dénoncer ou enquêter pour informer.

Ils se contentent de ce qui leur est servi, pour être relayés, magnifiés et glorifiés.

Et pendant ce temps, Marouane, lui, n’est toujours pas réapparu.

Pas un mot du gouvernement.

Pas une enquête sérieuse.

Pire, sa famille professionnelle a décidé de l’abandonner à son triste sort comme s’ils ne l’ont jamais connu.

Juste un silence assourdissant. Celui d’un régime qui fait peur, et d’une presse qui a peur de perdre ses miettes de privilèges égoïstes.

Au même moment, la voix de ceux qui ne l’ont jamais pratiqué ou côtoyé résonne à l’étranger pour exiger sa libération.

Que devient une presse qui a peur de dire ou de défendre la vérité ? Sa propre cause et celle des hommes qui font d’elle le quatrième pouvoir dans un régime normal ? Que dira-t-elle quand le vent de la vérité se lèvera ? Le mea culpa de la honte des magistrats au lendemain du 5 septembre 2021 ?

Qui osera encore se revendiquer journaliste après avoir trahi l’un des siens, les valeurs et principes du métier dans la nuit de la peur, sous la lumière des projecteurs officiels ?

Qu’on se le dise clairement, le CNRD écrase,

mais c’est la presse elle-même qui s’est agenouillée dans la poltronnerie pour faire la lèche-botte comme une femme laide et démunie qui se voit accidentellement épousée par un roi aux commandes d’un château de bonheur.

Le plus honteux dans cette tragédie, ce n’est pas seulement la brutalité de la dictature…C’est la docilité d’une profession devenue complice de sa propre déchéance.

Imaginez un instant : si la presse avait immédiatement cessé d’émettre et manifesté en signe de solidarité pour exiger sa libération, serions-nous encore là aujourd’hui ?

Plus largement, si le Barreau guinéen, les organisations de la société civile, celles de défense des droits humains, soutenues par d’autres corps socioprofessionnels, avaient agi dans l’unité en suspendant toute activité jusqu’à la libération de tous les détenus politiques et des victimes de disparition forcée, que pourrait faire le CNRD et ses valets, sinon céder ?

Mon cher Marouane,

Que l’Éternel des cieux, dans son infinie grandeur, veille sur toi partout où tu es, toi, et tous les autres qui croupissent dans les geôles de l’injustice, de l’arbitraire, de la démesure, de l’ignominie de la nouvelle dictature.

Je pense notamment à Foniké menguè, Billo Bah, Saadou NIMAGA, Moussa Mara Elsissi et tant d’autres. Que Dieu vous ramène tous à vos familles, surtout à vos enfants, ces innocents qui pleurent votre absence depuis maintenant plusieurs mois.

 Mamoudou Babila KEÏTA, Journaliste d’investigation en exil. Voix libre.