Il y a des silences qui condamnent, mais il y a aussi des paroles qui enterrent les valeurs d’une nation. Les propos du ministre Mory Condé, livrés sans trembler devant les autorités administratives de Kankan, sont de ceux-là. Désormais, en Guinée, pour avoir droit à la sépulture, il faudra obéir à l’algorithme de l’État. Une menace à peine voilée : les morts non recensés seront privés de cimetière, les familles de deuil, et les imams de prière. Voilà ce qu’ose dire un homme censé servir la République.
En quelques phrases, le ministre de l’urbanisme, devenu pourfendeur des esprits non fichés, a foulé au pied tout ce qui fonde l’humanité d’un peuple : sa spiritualité, ses rituels funéraires, sa mémoire des morts. Brandir la biométrie comme condition d’inhumation, c’est instituer le totalitarisme jusque dans les entrailles de la terre. C’est oser faire du cadavre un objet de chantage administratif. Une ignominie. Une honte nationale.
À travers cette rhétorique de l’intimidation, Mory Condé ne fait pas que trahir la culture guinéenne, il révèle le visage vrai du régime militaire qui l’emploie : celui d’un pouvoir sans racines, sans vergogne, sans repères. Un pouvoir qui ne gouverne plus mais qui menace, qui ne dialogue plus mais qui ordonne, qui ne convainc plus mais qui effraie. Comment a-t-on pu descendre si bas que l’État dicte aux croyants comment prier, aux familles comment pleurer, et aux morts où reposer ?
L’argument sanitaire, habilement brandi comme un paravent, ne trompe personne. Ce n’est pas la santé publique qui est visée, mais la soumission collective. Le recensement, aussi utile soit-il, devient ici un outil de contrôle absolu, une laisse numérique sur chaque cou de citoyen. Et ceux qui refuseront de se faire ficher ? Leurs défunts pourriront « entre leurs mains », a dit le ministre, le ton froid comme la dalle d’une tombe. Cette phrase seule devrait suffire à réveiller la conscience de tout un peuple.
Loin de nous protéger, ce régime militaire enserre la nation dans un carcan orwellien. Après avoir bâillonné la presse, kidnappé les opposants, muselé les syndicats, il s’en prend maintenant aux morts et à ceux qui les pleurent. Que restera-t-il demain de notre dignité, quand même les cadavres devront présenter un code-barres pour espérer un coin de terre bénie ?
On nous parlait de transition. C’est une transgression. Une profanation. Une descente aux enfers bureaucratiques. Ce que Mory Condé a prononcé à Kankan n’est pas une simple maladresse, c’est un acte politique — froid, cynique, prémédité. C’est l’ultime outrage d’un régime qui n’a plus rien de républicain, et tout d’un appareil de coercition.
Alors non, nous ne nous tairons pas. Car le silence, ici, serait une complicité. Et les morts, eux, méritent mieux que le mépris d’un ministre devenu fossoyeur du droit à l’humanité.
Aboubacar Fofana, chroniqueur