Dans une justice normale, la loi est la boussole. En Guinée, elle est devenue un accessoire de convenance. Pendant que des citoyens croupissent en prison sans preuves tangibles, des magistrats instruisent et jugent sans maîtrise des textes de base. Dans cette tribune, je livre un témoignage sans filtre, doublé d’une interpellation directe aux acteurs judiciaires, face à une dérive silencieuse mais profonde de l’appareil judiciaire.
Ce n’est pas seulement une dénonciation, c’est un appel à l’honneur, à la rigueur et à l’équité.
Une justice sans rigueur est un échec
Je l’ai dit plusieurs fois, je le réitère ici : De nombreux procureurs et magistrats qui poursuivent, instruisent et jugent des affaires de corruption, de détournement, de blanchiment de capitaux, d’enrichissement illicite et autres infractions liées aux finances publiques en Guinée, n’ont pas le niveau requis. Ils se lancent dans des procédures lourdes sans connaissance des fondements juridiques, techniques, ni institutionnels qui encadrent la gestion des finances publiques. Ce manque de rigueur provoque des humiliations judiciaires, des poursuites absurdes, des détentions prolongées, et des jugements qui piétinent autant la logique que le droit.
Des procureurs et magistrats de siègent qui ne connaissent pas la LORF (Loi Organique Relative aux Lois de Finances) ou la constitution financière de notre pays ;
Qui ignorent les lois régissant le fonctionnement de l’administration publique et parlementaire ;
Qui ne connaissent pas les procédures d’engagement budgétaire ;
Qui ignorent les prérogatives de la Cour des comptes ;
Qui ne maîtrisent pas le code des marchés publics ;
Qui n’ont aucune connaissance de la loi portant prévention, détection et répression de la corruption et des pratiques assimilées ;
Qui refusent de rechercher la vérité par des enquêtes sérieuses, en négligeant la vérification des faits ou des preuves présentées par ceux qu’ils poursuivent ou jugent.
Quelle que soit ce qu’on reproche aux anciens dignitaires du regime déchu, ils méritent d’être jugés sérieusement, équitablement, et conformément à la loi.
Avant de poursuivre, il faut disposer de faits concrets. Pendant les procès, il est nécessaire de vérifier les preuves et arguments présentés pour donner du sérieux à la procédure.
Je ne peux pas comprendre qu’un prévenu déclare avoir payé un montant pour une prestation de service public, et que le parquet ou les juges ne prennent pas le temps pour vérifier cela, pendant plusieurs mois de procès.
Mon expérience personnelle
Lorsque j’ai été poursuivi par l’ancien ministre de la Justice pour diffamation, suite à ma dénonciation d’une présumée corruption dans l’attribution des marchés de rénovation de la maison centrale, j’ai formulé devant le tribunal de Mafanco les demandes suivantes :
Monsieur le juge (Souleymane 1 Traoré), puisque le ministre Charles Wright m’accuse de diffamation pour corruption, je vous invite à :
1. Lire les dispositions du Code des marchés publics pour déterminer s’il y a eu ou non violation dans la passation des marchés de la maison centrale.
2. Lire la loi anti-corruption (L041 de 2017) pour comprendre ce qu’est la corruption et les sanctions prévues.
3. Vérifier à l’APIP si les 4 sociétés bénéficiaires des contrats sont enregistrées et compétentes en BTP.
4. Vérifier à la direction des impôts si ces sociétés sont à jour fiscalement.
5. Vérifier à la CNSS si elles sont enregistrées et à jour dans leurs cotisations.
6. Vérifier à l’ARMP si les marchés concernés y ont été enregistrés.
Je lui ai dit : « Si vous trouvez le contraire de ce que je vous déclare ici avec des preuves à l’appui, appliquez-moi toutes les sanctions que la loi vous autorise. »
Résultat ? Rien de tout cela n’a été fait.
Les avocats de la partie civile sont restés sans voix. Le procureur a tenté de déplacer le débat, dans une démarche qui exposait davantage sa méconnaissance de l’orthodoxie financière.
Après des jours de manœuvres pour voir comment me condamner contre la loi, le juge s’est accroché à une disposition sur la diffamation concernant la vie privée, alors que ma dénonciation concernait un acte administratif du plaignant. La suite, vous la connaissez.
Des pratiques similaires à la CRIEF
Ce que j’ai vécu au TPI de Mafanco, ce sont les mêmes scénarios que nous voyons à la CRIEF (Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières) depuis bientôt 4 ans.
Des poursuites sans preuves, des emprisonnements injustifiés, et aucun examen sérieux des pièces présentées par les prévenus pour leur défense. Voici quelques exemples :
● 15 milliards de la MAMRI reprochés à Kassory Fofana : La L075 (sur les établissements publics à caractère administratif) clarifie les règles de gouvernance d’un EPA. Comment peut-on accuser un Premier ministre dans ce contexte ?
Les preuves ont pourtant été fournies : 12 milliards n’ont jamais bougé des comptes, 3 milliards ont été effectivement payés à la société Tinkisso pour la désinfection des services publics pendant le COVID.
● Pour Damaro Camara : Sur les 15 milliards dénoncés, il affirme que des dépenses ont été faites. Il demande à la Cour de vérifier. Personne ne l’a fait. Pire, sur les 15 milliards, 6 milliards étaient encore dans les comptes de l’Assemblée au moment du coup d’État. Cet argent a été decaissé par les nouvelles autorités au nom des anciens députés, mais aucune enquête n’a menée par la CRIEF pour savoir ce qui a été fait de ce montant.
● Pour Ibrahima Kourouma : Les montants annoncés représentent plus que le salaire cumulé de tout le personnel du ministère, au moins sur deux exercices budgétaires.
Pire, le rapport d’inspection n’était que provisoire. Et, l’inspectrice générale d’Etat qui a produit ce rapport n’est autre qu’une Secrétaire dactylo au ministère du contrôle économique et des audits sous le magistère du ministre Kazaliou Baldé, visiblement reconvertie.
● Pour Sylla Bill Gate : Aucun document comportant sa signature n’a été jusque-là publié pour justifier une sortie d’argent à la Présidence sous son instruction en tant qu’ancien Intendant mais qui ne s’occupait que des affaires privées du Président Alpha Condé.
● Pour Docteur Diané : Comment peut-on poursuivre un ministre de la Défense sans convoquer son intendant ou son chef d’état-major qui élabore et exécutent les dépenses du département ?
● Pour les autres ordonnateurs, pourquoi les contrôleurs financiers et les comptables ne sont-ils jamais inquiétés, alors que la loi leur confère une responsabilité claire dans l’exécution des dépenses ?
Deux poids, deux mesures
Dans des circonstances similaires, les dossiers des ministres/directeurs du CNRD sont traités avec célérité, et souvent classés sans suite ou acquittés.
Pour preuve, je n’ai jamais été interrogé sur mes preuves, ni par un juge, ni par le procureur spécial, dans le cadre de mes enquêtes qui ont fait l’objet de dénonciations par Alseny Farinta Camara à la CRIEF.
Comment peut-on appeler une telle justice ?
NB : Tout Guinéen engagé pour la vérité, la légalité, la justice et l’État de droit doit pouvoir s’indigner face à l’injustice, sans exclusion.
Dans le combat pour une justice sociale équitable, on ne choisit pas ses amis ou ennemis. Ceux qui ont commis l’erreur de négliger cette nécessité lorsqu’ils étaient au pouvoir, comprendront, regretteront et se racheteront pour qu’ensemble nous puissions bâtir une société juste et équilibrée par la force des lois.
Et, pour finir, que chaque procureur, chaque juge, chaque autorité politique comprenne qu’ils ont une responsabilité morale, institutionnelle et pénale, devant l’histoire, devant leur famille, et devant le peuple de Guinée.
Chaque jugement arbitraire est une faille creusée dans l’avenir de leurs enfants. Chaque poursuite injuste est une malédiction en attente. Chaque instruction politique, chaque acharnement commandité, est un péché lourd qui collera à leur descendance.
Le juge suprême, l’Éternel des cieux, voit tout. Son verdict, lui, est sans appel.
Ceux qui sacrifient la loi, trahissent leur serment, renient l’éthique et méprisent la morale, se verront tôt ou tard face au miroir de leur propre culpabilité.
Et ce jour-là, il ne leur restera que le silence de leur conscience pour réponse.
Mamoudou Babila KEÏTA
Journaliste