L’histoire d’Aly Kanté, imam de la mosquée « Thermite Mara », n’est pas simplement une affaire sordide d’un homme de foi qui aurait succombé à ses pulsions. Elle est l’emblème nauséabond d’une société guinéenne en décomposition morale, où la religion n’est plus qu’un vernis social, une posture publique désolidarisée de la conscience spirituelle, et où les institutions coutumières sont devenues les chambres d’écho d’une hypocrisie complice.
Que l’on soit croyant ou pas, un fait demeure : dans une société où l’imam est censé incarner la probité, l’équité et la parole du Très-Haut, qu’il soit soupçonné – et pire, qu’il reconnaisse – avoir commis l’indicible dans le lieu même où résonnent les versets du Coran, marque une fracture abyssale. Pas seulement religieuse, mais anthropologique. Car c’est l’ordre moral tout entier qui vacille lorsque le sanctuaire devient théâtre de luxure, et que le minbar, lieu de guidance, se transforme en paravent d’infamie.
Que signifie désormais la mosquée, si elle peut abriter des actes qui la profanent ? Quelle valeur a la parole d’un imam, s’il peut la souiller de la même bouche qui scande des prêches ? Et que dire des notables, ces gardiens des valeurs communautaires, qui ont d’abord défendu l’indéfendable au nom de la stature sociale de leur coreligionnaire, mus par le réflexe pavlovien du patriarcat, aveugle à la souffrance d’une jeune fille, orpheline et vulnérable ?
Le drame ne réside pas seulement dans la turpitude de cet imam indigne, mais dans le réflexe collectif qui cherche à camoufler, à relativiser, à « arranger », comme si l’honneur d’un homme d’influence valait plus que la dignité d’une jeune fille. La société guinéenne actuelle semble ainsi gangrenée par cette logique du « compromis honteux », où l’on monnaie l’impunité à coups de sacs de riz et de miettes de francs guinéens, pendant que la justice sociale et morale est mise aux enchères dans les couloirs de la coutume.
Le plus révoltant, c’est la tentative finale d’imposer un test ADN, comme si la possibilité qu’il ne soit pas le seul abuseur le disculpait. Non, monsieur Kanté, le fait même d’avoir partagé une intimité illicite avec une fille manifestement sous votre autorité morale vous condamne sans appel sur le plan religieux. Le Prophète (saws) disait : “Celui d’entre vous qui voit un mal, qu’il le change par sa main ; s’il ne peut pas, qu’il le change par sa langue ; et s’il ne peut pas, qu’il le ressente dans son cœur – et c’est là le degré le plus faible de la foi.” Or, vous avez été le mal incarné, le corrupteur caché sous le turban.
Ce cas n’est pas isolé. Il est le symptôme d’un effondrement silencieux des repères. Les figures religieuses, loin de guider, deviennent parfois les agents de la corruption morale. Les anciens, souvent complices par silence ou par calcul social, protègent la structure patriarcale au détriment de la vérité. Et l’État, indolent, regarde, jusqu’à ce que le scandale soit trop fort pour être ignoré.
Il faut avoir le courage de dire que l’islam n’a rien à voir avec ce crime. C’est l’homme qui a trahi le message, perverti le sacré, et piétiné la confiance. Il ne peut y avoir de justice sans exemplarité. Il ne peut y avoir de société saine sans rupture radicale avec la culture de l’impunité. Et il ne peut y avoir de renaissance morale sans purification de nos mosquées, de nos consciences, et de nos élites.
Qu’une affaire aussi grave ne conduise pas à une levée de boucliers nationale, qu’on se contente de débats sur la préséance entre imams au lieu d’exiger justice, réparation et réforme, en dit long sur l’état de pourriture de notre conscience collective. Cette histoire doit être le point de départ d’un sursaut. Sinon, il ne restera de notre foi qu’un folklore, et de notre société qu’un théâtre de faux-semblants.
Aboubacar Fofana, chroniqueur