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Le patrimoine national en danger (Tierno Monénembo)

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J’ai reçu il y a quelques jours, de la part d’une compatriote et amie vivant dans la région parisienne, une vidéo dans laquelle apparaît une case qui me parut familière. Mais laquelle ? A force de visionner ce véritable cadeau de fin d’année, j’ai fini par reconnaître ma case natale. Il paraît qu’une charmante journaliste d’une télévision de la place s’est déplacée dans mon village pour la filmer. Croyez bien que j’en suis fortement ému, Madame. Seulement, les Guinéens doivent savoir que cette case n’est pas historique parce que simplement le hasard y a fait naître ma pauvre personne. Elle est historique bien avant cela. René Caillé y a séjourné, Olivier de Sanderval aussi. Et ce n’est pas tout. C’est dans cette case que les Almamis du Fouta-Djalon, après leur couronnement à Fougoumba s’enfermaient, nus, couchés sur une étendue de fonio de la hauteur d’un lit, pendant sept jours et sept nuits sans voir la lumière et sans parler à personne.

C’est seulement après cette cérémonie mystique que leur nom était connu du grand public et leurs louanges, chantés jusqu’au palais royal de Timbo. Mon oncle qui ne connaissait rien de cette histoire a cru naïvement qu’il pouvait démolir la case de son père et construire un bâtiment en dur à la place. Il est mort juste après avoir défait la toiture et une partie du mur. Nous, nous efforçons aujourd’hui de la reconstruire à l’identique, ce qui n’est pas évident. Que voulez-vous, nous vivons dans une société où plus rien n’est sacré, plus rien n’est honoré, plus rien n’est transmis ce qui fait que notre mémoire nationale est en lambeaux.

Je suis certain que ma case natale n’est pas la seule. Il doit avoir des centaines voire des milliers d’autres cases (en tout cas d’autres lieux et monuments historiques) en péril. A Timbo, il ne reste plus rien qui rappelle le glorieux passé du royaume du Fouta-Djalon. A Dinguiraye, ils ont complètement défiguré la mosquée d’El Hadj Omar. Les forts esclavagistes de Basse-Guinée sont dans un état d’abandon total alors que la Guinée est l’un des pays qui en totalisent le plus (vingt-sept en tout). Les forêts sacrées ont été entièrement détruites par Sékou Touré entre 1963 et 1964 (je m’en souviens parfaitement, j’étais collégien à N’Zérékoré). Dans quel état se trouve le site de Niani, l’ancienne capitale de l’empire du Mali ? Dieu seul le sait.

Au début de ce siècle, j’ai essayé alors que je déjeunais avec lui et avec le professeur Djibril Tamsir (qui sait mieux que nous tous ce que patrimoine national veut dire) d’alerter le ministre de la Culture de l’époque (par courtoisie, je tairai son nom) sur le saccage organisé de la belle architecture coloniale de Conakry. « Vous avez raison, nous allons légiférer ! », m’avait-il été répondu. Tu parles ! A l’époque, à Kaloum, on voyait encore quelques arcades, quelques maisons en tuiles et quelques vérandas un peu partout. Aujourd’hui, à part un ou deux balcons en fer forgé du côté de la cité des chemins fer, il ne reste rien du vieux Conakry que dans les années 40-50, les marins appelaient la « perle côtière » de l’Afrique de l’Ouest. On a bâti à la place de grossiers immeubles qui ne servent qu’à enlaidir le paysage et à nous boucher la vue sur la mer.

En 1968-69, le professeur Djibril Tamsir Niane (encore lui !) avait fait le tour du pays, accompagné de ses étudiants pour recueillir sur bandes magnétiques tout le patrimoine oral du pays. Que reste-t-il de ces bandes ?

Notre ministre de la Culture devrait s’en inspirer pour non seulement recueillir le peu qui nous reste d’héritage (je pense aux récits des vieillards et des griots, aux milliers de manuscrits en proie aux termites et à l’oubli) mais aussi préserver les sites et monuments historiques de la démolition. Ce serait d’autant opportun que depuis quelques jours, on parle de la construction d’un palais de la culture où-je l’espère bien- toute une aile sera consacrée à la sauvegarde du patrimoine.

C’est triste, la Guinée est devenue un pays sans passé et sans avenir, je veux dire, le pays idéal des despotes et des charlatans.

Tierno Monénembo

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