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Treizième « complot », le mouvement des femmes du 27 août 1977 (Par Almamy Fodé Sylla)

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A notre connaissance, voici le mouvement qui mérite exactement la dimension, le caractère et la raison que Sékou Touré et son Parti ont bien voulu lui donner. En effet, mouvement spontané d’explosion de colère générale provoqué par le marasme économique dans lequel végètent les populations guinéennes depuis le 2 octobre 1958, l’événement du 27 août 1977, est sans conteste, celui de la libération du peuple martyr de Guinée. Sékou Touré lui-même l’a qualifié de plus grand complot anti-gouvernemental depuis l’indépendance nationale. S’il a eu tort de l’appeler « complot » comme les précédents fruits de son imagination, il a cependant eu raison d’affirmer que c’est le mouvement qui a fait plus de mal au Parti que toutes les manifestations jusqu’ici connues. Sékou ne dit pas pourquoi les 27 et 28 août ont fait plus de mal à son Parti. La raison est très simple : le mouvement des femmes de Conakry a d’habitude un caractère de soutien « dansant et chantant » au père de la nation. Que celui des matinées des 27 et 28 août 1977 sorte de l’ordinaire pour signifier avec force la désapprobation du P.D.G. et de son leader, c’est du nouveau auquel le premier jeune, l’idole et le mari de toutes les femmes de Guinée l’incorruptible, l’intransigeant Syli (éléphant) Sékou, guide incontesté et leader bien aimé, ne s’attendait pas du tout. Démystifié, le gros « éléphant » de Guinée est tombé, son invincibilité démentie. Un dicton soussou nous avertit que le mourant est têtu. Sékou en donnera la preuve dans la soirée du 27 août 1977, quand certains cadres sont allés lui déconseiller le meeting précipitamment convoqué le 28 août au Palais du Peuple. « Convoquez-moi le meeting pour 10 heures. Quel que soit l’état d’esprit des femmes soussous, ma seule apparition sur la tribune leur fait changer d’opinion », voilà la réponse de « l’homme-éléphant », toujours sûr de lui, qui enseigne cependant qu’en politique il ne faut minimiser aucune situation. Pour cette fois-ci il oublie son propre enseignement comme ce cycliste qui s’abstient, une seule fois de fermer son vélo en le garant devant le cinéma Matam : à la fin du film, il constate qu’un voleur ayant eu

besoin de rentrer à la maison, a été obligé, malgré lui, d’utiliser la seule bicyclette qui n’a pas présenté de résistance. Les bonnes habitudes sont garantes de notre sécurité. Le meeting est donc convoqué par un communiqué radiodiffusé du B.P.N. pour la matinée du 27 août 1977 au Palais du Peuple. En grand boubou blanc, le Secrétaire Général du P.D.G. (pour l’avènement de qui les femmes de Conakry avaient demandé à leurs maris en 1954 de leur « céder le pantalon » s’ils étaient hésitants), arrive à la tribune du Palais conduisant une délégation du B.P.N. et du gouvernement. Il n’est pas ovationné comme d’habitude. Çà ! Ce n’est pas clair ! Quelque chose doit clocher quelque part ! Mais, on verra bien ! — Pour la Révolution ! — A bas ! — L’impérialisme ! » — Qu’il vienne maintenant ! Brusque arrêt du tonnerre des slogans par le Président, qui n’a pas bien compris la réponse de la foule surexcitée… — « Le colonialisme ! » — On l’attend impatiemment ! Le Président tend bien l’oreille en se penchant même de son « bon côté » pour capter les termes soussous qu’emploient les femmes. — Gloire ! — Au Peuple ! — Victoire ! — Au Peuple ! — Honneur ! — Au Peuple ! Par ces réponses justes, le président est quelque peu encouragé. Il continue donc : — Vive la Révolution ! — Au tombeau ! Entre l’étonnement et la colère, Sékou Touré ne sait pas où donner de la tête quand, comble de désespoir, il entend les femmes fredonner un chant populaire très significatif : « Ce n’est pas la convention établie entre nous. Tu nous as trahies. Nous en avons assez, crois-nous, Sékou ! Sékou ! as-tu oublié tes promesses » ! Les femmes se rendent compte que le « sans-peur » a pris peur. En le voyant prendre la fuite de la tribune vers la porte de sortie, les insurgées redoublent d’ardeur en se ruant vers le politicien humilié dont le salut résidera dans sa course effrénée. Les milliers de femmes le poursuivront, du Palais du Peuple au Palais de la Présidence, lui, en voiture, elles à pied, chantant et dansant dans la rue. Caché dans les méandres de son palais « labyrinthe », le grand tribun prend le micro et donne ordre aux forces publiques de tirer sur les pauvres femmes et, dans la seule ville de Conakry, l’on enregistrera 67 blessés graves et 12 morts. A Fria, Coyah, Forécariah, Kindia comme une traînée de poudre, les femmes se sont levées comme une panthère blessée pour suivre l’exemple de leurs sœurs de Conakry, en se rebellant contre toute autorité de l’État et du Parti. Si les fois précédentes, Sékou faisait une purge en arrêtant surtout les cadres, cette fois-ci, c’est une véritable arrestation massive, car c’est le peuple lui-même qui s’est levé les 27 et 28 août 1977 pour lui dire non, définitivement non. Pour se venger de cette grave indiscipline, il fait arrêter plus de mille femmes et enfants dont un grand nombre périt dans le camp de concentration tristement célèbre de Boiro. Cependant si la leçon a été durement payée, on reconnaît unanimement que les événements du 27 août 1977 ont signé deux actes de décès et un de naissance.

Sékou et son P.D.G. sont politiquement morts tandis que naissait la liberté du Peuple de Guinée. Événement réellement douloureux mais décisif qui influencera de façon heureuse la vie politique, économique et sociale de la nation. Le Peuple de Guinée s’incline pieusement devant la mémoire de ces autres martyrs dont le sacrifice a précédé à coup sûr la mort de Sékou Touré.

Source : Itinéraire Sanglant

Pr Almamy Fodé Sylla, Rescapé de Camp Boiré, ancien plusieurs fois ministre sous la 2ème République

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