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Prof. Abdoulaye Touré: «Le relâchement peut rendre difficile la gestion Covid-19 en Afrique»

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Près de 900.000 cas de contamination, plus de 18.000 décès… si l’Afrique reste moins touchée par le coronavirus que les autres continents, l’épidémie continue tout de même de se propager. Ce qui inquiète l’OMS. Pour tenter de contenir son évolution, certains chercheurs appellent à tester plus massivement les populations pour mieux identifier les cas positifs et réduire le nombre de décès. Parmi ces chercheurs, le professeur Abdoulaye Touré, maître de conférence en Santé publique à l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry et acteur de La Riposte en Guinée.

RFI : Avez-vous constaté une progression de l’épidémie ces dernières semaines sur le continent ?

Abdoulaye Touré : Oui, ces dernières semaines nous constatons une augmentation du nombre de cas, probablement liée, aussi, aux stratégies de dépistage qui sont mises en place.

Etes-vous inquiet par l’accélération de l’épidémie dans certains pays ? En Afrique du Sud, le pays le plus touché du continent, on enregistre aujourd’hui plus de 10 000 cas par jour.

Oui, cette situation est effectivement extrêmement inquiétante. Et cela peut être inquiétant, aussi bien pour les Sud-Africains que pour l’ensemble du continent. Parce que, lorsque l’on regarde l’épidémiologie sur le continent africain, nous nous apercevons que la zone sud est beaucoup plus touchée, même s’il y a, effectivement, beaucoup de cas partout ailleurs.

Professeur Abdoulaye Touré, chercheur, maître de conférence en Santé publique à l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry et acteur de la riposte en Guinée.

Avec d’autres chercheurs, vous estimez que le nombre de cas sur le continent est largement sous-estimé, en raison notamment du manque de tests.

Oui, depuis le début de cette épidémie, certes, il y a eu beaucoup d’efforts de la part des États, de la part des organisations internationales, notamment l’Union africaine, l’OMS et les autres organisations régionales de la santé, notamment pour l’Afrique de l’Ouest -l’Organisation ouest-africaine de la santé-, mais nous estimons que ces capacités restent toujours un peu en-deçà des besoins, parce que les capacités de dépistage qui sont déployées dans les différents pays sont essentiellement concentrées dans des capitales et à l’intérieur du pays. Les zones un peu reculées sont un peu les parents pauvres, donc il y a besoin de renforcer ces capacités.

Plus on teste et plus on trouve, évidemment, de cas -expliquez-vous dans cette analyse que vous avez faite récemment avec d’autres chercheurs-, mais surtout, plus la proportion de décès est faible. Expliquez-nous…

Plus on teste, plus on trouve… Je pense que c’est plus facile à comprendre, parce que cela veut dire qu’on a la possibilité d’identifier le maximum de personnes et surtout que l’épidémie est, en Afrique, essentiellement asymptomatique. Donc, beaucoup de personnes ne se sentent pas concernées, ne se sentent pas toujours porteuses du virus et ne se présentent pas toujours dans des centres de dépistage, alors que les gens sont parfois porteurs du virus, sans le savoir. En dépistant le maximum de personnes, on augmente la chance de retrouver le maximum de cas positifs qui seraient au sein de la communauté. Lorsque l’on dépiste beaucoup de personnes avec un diagnostic qui est très précoce, cela optimise, cela
augmente leur chance de survie. Et surtout, comme la population africaine est relativement jeune, on n’aura pas beaucoup de décès.

À vous entendre, il faudrait tester beaucoup plus massivement les populations et pas seulement les cas suspects…

Oui, on doit dépister le maximum de personnes. Nous devons aller vers un dépistage systématique, offrir à toute la population, à celui qui se sent un peu à risque ou celui qui a envie de faire son test… Je pense que ce doit être cela, notre stratégie à ce stade. Il faut tester, tester, tester suffisamment et assurer la prise en charge, donc isoler les cas positifs, pour leur offrir la possibilité d’une meilleure prise en charge. C’est ce qui pourra permettre de rompre la chaîne de transmission.

« De façon générale, la maladie a désormais une transmission communautaire, ce qui rend difficile son contrôle ». Ces mots sont ceux de Michel Yao, le responsable des opérations d’urgence de l’OMS en Afrique. Vous êtes d’accord avec ce constat ?

Oui, je suis tout à fait d’accord. La transmission est communautaire en Afrique, et cela est actuellement extrêmement inquiétant, parce qu’on constate par ailleurs un relâchement des mesures de prévention, donc des gestes barrière, la distanciation… La population est en train de revenir progressivement à une vie normale, alors que nous sommes encore en pandémie. Donc, ces relâchements sont un risque extrêmement important et cela peut entretenir la transmission communautaire et rendre difficile la gestion de l’épidémie.

Le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint, visiblement, sur le continent. Est-ce qu’il est possible de prévoir le moment où il se sera ?

Actuellement, nous sommes près de 872 000 cas sur le continent, avec plus de 18 000 décès. Mais malgré cela, il est difficile actuellement de dire de façon formelle si le pic est atteint ou pas. Parce que, lorsque l’on regarde les courbes épidémiologiques dans certains pays, nous nous rendons compte qu’il y a souvent des variations. Il y a une tendance parfois à la baisse, qui dure un peu, et après il y a une légère montée, encore. Mais je pense que, ce qui est important, c’est de prendre conscience -encore-, de l’existence de l’épidémie, de prendre conscience de la fragilité de nos systèmes de santé, et donc, de renforcer la communication, encourager la population à aller davantage vers les structures -les centres de dépistage-, et à accepter l’isolement ou l’hospitalisation lorsque le résultat est positif.

RFI

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