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Le vaudou : entre tradition spirituelle et modernité matérielle

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La fête annuelle du vaudou au Bénin, autour du 10 janvier, est l’occasion de cérémonies déroutantes pour un esprit rationaliste ou monothéiste. Or, cette culture reste très prégnante en Afrique de l’ouest, son berceau historique, et nous invite à un ‘retour vers le futur’ inspirant d’un continent en mutation.

Face au vaudou, on peut être médisant ou méprisant pour cause de procès en satanisme, charlatanisme ou archaïsme. Ou être méditant, sans être militant, et tenter d’appréhender un ensemble de croyances et de pratiques antérieures à l’ère chrétienne, qui s’adaptent aux évolutions culturelles. D’où la nécessité de  dépasser nos préjugés, dont Einstein disait qu’ils sont « plus difficiles à désintégrer qu’un atome ».

Aux origines du vaudou

Unifié à partir du 17e siècle au Bénin à partir d’un panthéon de divinités et de pratiques venues des pays du golfe de Guinée, le vaudou partage avec les autres aires culturelles africaines des racines puisant dans l’art divinatoire du Fâ de l’Égypte ancienne (1), dont il est un instrument parmi d’autres religions endogènes. Ses déclinaisons caribéennes et brésiliennes, issues du commerce de l’esclavage, ont pris leur indépendance et développé leurs spécificités.

L’un des plus grands sachants et praticiens vivants du vaudou, le Pr David Koffi Aza, constate que «Nombreux sont peinés d’entendre les propos dilatoires, blasphématoires et injurieux que tiennent ceux qui s’improvisent censeurs des enseignements et des pratiques de la tradition africaine. A ces juges gratuits des réalités de notre tradition, toutes les occasions sont bonnes pour couvrir d’opprobres et de sarcasmes ceux qui ne veulent pas singer les étrangers, mais tiennent à conserver leur identité cultuelle et culturelle. » (2)

Or, deux caractéristiques méritent d’être considérées au regard des religions scientistes et progressistes en Occident :

Une symbiose avec les éléments naturels

D’abord, dans une ‘vision englobante du monde’, le vaudou concilie, sans difficulté ni contradiction, les mondes matériel et spirituel dans un rapport de symbiose entre l’homme et la nature à laquelle des divinités sont associées. La nature spirituelle ayant horreur du vide, cette religion tolérante et non exclusive nous rappelle que culte et culture vont de pair. Elle comble un besoin existentiel pour lequel la seule science profane ne peut rien. L’écrivain et ethnologue malien Hamadou Hampâté Bâ disait : « Salut à celui qui vient de dénouer l’énigme des enlacements. Chaque fois qu’on défait un nœud, on sort un Dieu ». À rapprocher des propos du père dominicain Lacordaire « La science creuse la vie et ne la comble pas; l’amour de Dieu l’illumine, l’élève et la remplit

Une résistance au temps

Deuxième enseignement en guise de rappel, le vaudou allie naturellement ‘tradition et modernité’, non pas dans un ‘entre’ vide mais dans une tension bipolaire, une ‘tradition-modernité’ (3). Il joue, de plus, un rôle naturel de régulation sociale par des normes communément admises car d’intérêt général.

Un travail colossal de réécriture de l’histoire de l’Afrique est entrepris par des intellectuels africains, qui vise à une émancipation historique mémorielle. Le Pr Aza estime que « l’honnêteté morale nous fait obligation de reconnaitre que la colonisation nous a permis d’accéder plus rapidement à cette qualité de civilisation grâce à laquelle nous avons élargi notre champ de compréhension, de connaissance et de prise de conscience à des horizons très étendus qui couvrent tous les aspects de la vie et des réalités universelles. Mais le colonisateur n’a pas détruit pour autant nos cultes et notre culture» (2).

Ainsi, le vaudou mérite d’être étudié avec autant d’intérêt et de respect que toute autre science naturelle et humaine. Espérons qu’il survivra en Afrique à la divinité du fric, toute puissante ici comme ailleurs.

JML, Chef
d’entreprise, analyste pour Audace Institut Afrique.

(1) La meilleure référence sur le sujet, selon les praticiens béninois du vaudou, est l’ouvrage de Bernard Maupoil « La géomancie à l’ancienne côte des esclaves » : http://cilf.izibookstore.com/produit/88/9782852650096/La%20Geomancie%20a%20lancienne%20Cote%20des%20Esclaves

(2) « Concept originel du vodoun – voyage au cœur des réalités cultuelles et culturelles », Pr David Koffi Aza, prêtre de Fâ. Voir https://www.ouvertures.net/benin-le-fa-est-une-lumiere-des-hommes-qui-tire-sa-source-du-grand-nom-divin/

(3) En référence aux publications suivantes «La pensée métisse» https://books.openedition.org/iheid/3219?lang=fr ; Tradition-modernité https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2006-4-page-687.htm

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